Accueil

 

Bernard CHIRIS

LES CAPACITES D'APPRENTISSAGE DES CHEVAUX

Interview de Bernard Chiris pour la revue allemande Cavallo-2008

Cher Monsieur,

Notre projet est un article sur les capacités d'apprentissage des chevaux pour le magazine CAVALLO, le plus grand magazine équestre en Allemagne.
Nous vous remercions par avance pour vos réponses à nos questions que nous attendons avec plaisir et impatience.
Avec nos salutations les meilleures.

Revue Cavallo.

Voici pour vous l'intégralité de cette interview...

1. D'une manière générale, de quelle manière les chevaux apprennent-ils? Qu'en pensez-vous?

Les chevaux apprennent dès lors que l'on fait appel à leur intelligence, à leur compréhension et à leur sensibilité. Il faut agir de façon très progressive en récompensant dès que le cheval se donne avec bonne volonté, être patient et doux, sans jamais contraindre le cheval, ni par la force, ni par la contrainte psychologique. Il faut bien entendu tenir compte de la psychologie du cheval, respecter son rythme propre, adapter son savoir, son savoir faire et les méthodes à chaque cheval. Chacun est particulier, avec sa sensibilité, sa réactivité, son intelligence particulière. a Basse Ecole se caractérise par un équilibre encore horizontal, une juste répartition du poids entre l'avant-main et l'arrière-main du cheval.

2. Les chevaux n'aiment pas le changement. Comment concilier cela avec l'apprentissage ?

Ce que les chevaux n'aiment pas, c'est la répétition, la routine qui les ennuie. C'est au cavalier à amener son cheval à s'intéresser à son travail, aux choses nouvelles. Le cheval aime la compagnie de l'homme. Il aime communiquer…mais l'on doit employer un langage clair, compréhensible pour lui, qui tienne compte de ses particularités. Il préfère la coopération à l'affrontement, la douceur à la violence…on n'impose rien au cheval, en tout cas rien de bien durable…on propose, on suggère, on met en situation de comprendre, d'apprendre, de réaliser, de réussir…

3. Utilisez-vous les réflexes, les instincts de vos chevaux dans l'apprentissage?

Tout cavalier désireux d'établir une relation de qualité avec son cheval ne peut l'éduquer qu'en tenant compte de ses instincts et en s'appuyant sur certaines réactions ou réflexes du cheval. Toucher avec une badine pour solliciter l'envoi d'un antérieur dans l'apprentissage d'un geste, au pas espagnol par exemple, peut être utile. Mais ce n'est pas suffisant ! L'aspect purement mécanique reste secondaire. Il faut avant tout sentir, réfléchir, adapter, mettre en confiance. Il faut mettre le cheval dans une disposition physique, mentale et émotionnelle telle, que l'exercice lui devienne possible, presque évident, naturel.

4. Quelle importance a la curiosité? Est-il possible de rendre les chevaux curieux?

Le cheval est à la fois très curieux et craintif. Il faut donc être à la fois capable de le rassurer, en lui laissant ses points de repères, travailler par exemple dans un cadre qu'il connaît, qui l'apaise, en reprenant des exercices qu'il maîtrise, et de lui proposer des choses nouvelles, ou des lieux ou des circonstances différentes, qui vont solliciter sa curiosité, son intérêt. Il faut intéresser le cheval à ce qu'il fait pour ne jamais le blaser et provoquer son désintérêt. Le cheval devient alors très coopératif, travaille avec plaisir et gaieté…

5. Comment facilitez-vous l'apprentissage de vos chevaux?

Par la compréhension de ce que nous faisons, par l'écoute permanente, l'observation et la compréhension. Il n'y a pas d'éducation sans amour, sans don de soi. Mais un cavalier ne peut-être à l'écoute du cheval sans une grande connaissance de lui-même. Etre bien avec soi même, être conscient de ses propres émotions, de ce qui se joue en nous, nous permet d'être apaisé, détendu, à l'écoute de l'autre…Bien souvent, l'apprentissage du cheval est freiné ou bloqué par les problèmes intérieurs du cavalier.

6. Quelle méthode d'apprentissage appliquez-vous ?

Aucune méthode n'est universelle, applicable à tous les chevaux, par tous les cavaliers. La manière d'être, de sentir et de ressentir, d'adapter son comportement à chaque cheval est plus importante que la méthode. Mais nous devons avoir assimilé l'ensemble des procédés d'apprentissage, des méthodes, des philosophies équestres, afin de pouvoir choisir à chaque instant la manière la plus adaptée et la plus pertinente d'agir avec un cheval donné…La culture équestre, c'est-à-dire l'ensemble des connaissances et des expériences accumulées au cours d'une vie ou d'une passion consacrée au cheval, l'ensemble des connaissances acquises depuis des siècles, est ce qui permet au cavalier de s'adapter à chaque cheval, indépendamment des méthodes ! La méthode sans l'homme ne vaut pas grand-chose. Il faut se méfier des " Nouveaux Maîtres " qui font de leur méthode… la seule, la vraie, l'unique…un commerce, un business ! L'achat d'un stick, fut-il très à la mode, n'a jamais fait de quiconque un cavalier, un dresseur, et encore moins un homme (ou une femme…) de cheval!

7. Comment devinez-vous les talents, les possibilités de vos chevaux ?

C'est une affaire d'expérience et de sentiment intime. Le plus important, c'est justement de sentir ou de pressentir la sensibilité et la réceptivité, la générosité et l'enthousiasme au travail chez le cheval, l'énergie, la force. L'œil, le mental, la présence sont pour moi des éléments clefs. Je recherche l'équilibre physique, mental et émotionnel du cheval…Il doit d'abord y avoir un déclic lorsque l'on monte le cheval…et ensuite une analyse plus rationnelle.

8. A quels problèmes d'apprentissage avez-vous déjà été confronté ?

Chaque nouvelle rencontre, chaque nouvel apprentissage est une " aventure ". Il faut rester ouvert, disponible, à l'écoute du cheval, de sa sensibilité, de ses capacités du moment, de son état d'esprit dans l'instant. Le caractère du cheval est primordial. Il faut vraiment en tenir compte. Avoir dans la tête une méthode préétablie, un système, c'est courir à l'échec. Les problèmes les plus importants viennent presque tous de l'homme! Redonner confiance à un cheval qui a été mal monté, blessé dans son psychisme est ce qui est le plus difficile !

9. Qu'est-ce que les chevaux apprennent facilement?

Tout ce qui leur est proposé avec grâce et avec tact, avec patience et amour, avec expérience et réflexion. A condition de ne pas vouloir aller plus loin que les capacités physiques et mentales de chaque cheval et de ne pas vouloir briller soit même au détriment du cheval.

10. Quelles sont les choses que les chevaux n'apprennent pas du tout?

On ne devrait apprendre aux chevaux que des gestes naturels, que l'on peut styliser bien sûr, mais qui restent des gestes que l'on retrouve dans la nature, en les amplifiant et en les magnifiant, comme le Piaffer ou la Pirouette par exemple. Vouloir apprendre aux chevaux des singeries ne montre que la vanité de l'homme ! Mon Maître, Nuno OLIVEIRA, avec lequel j'ai travaillé durant quatorze ans, disait toujours : " Ne cherchez pas à épater la galerie…épatez votre cheval… ! ".

11. Existe-t-il des chevaux qui n'apprennent rien, qui ne veulent pas apprendre?

Non ! Chez les chevaux, c'est comme chez les humains…tout individu, même celui qui est le moins doté par la nature, peut apprendre et apprend quelque chose. Simplement, il faut beaucoup plus de tact, de patience, de cœur, de sensibilité et d'intelligence avec certains.

12. Quel sexe apprend plus facilement que l'autre?

Je pense que le cheval mâle, non castré, est plus généreux et qu'il se livre davantage qu'un cheval hongre. La jument est aussi capable de se livrer totalement, mais elle est plus inconstante. En revanche un cheval entier demande à la fois plus de douceur et plus de fermeté. Il demande un cavalier bien dans sa peau, calme, confiant en lui-même, ayant apprivoisé ses angoisses.

13. Quelle race ou type de chevaux apprend-il le mieux?

J'ai éduqué des chevaux de races très différentes. Je pense que le Lusitanien, et son cousin le Pure Race Espagnol, est le cheval qui est le plus proche de l'homme, le plus attentif. Il est généreux et énergique, plein de bonne volonté. Mais sa grande sensibilité peut poser des problèmes aux cavaliers qui ne sont pas à l'écoute de leur monture.
Le cheval qui apprend le mieux est un sujet qui est bien dans sa tête et dans son corps, et qui possède les caractéristiques qu'un cavalier peut attendre pour une utilisation donnée. C'est pourquoi je pourrais vous répondre l'Arabe, l'Anglais, le Hanovrien, le Frison…
Mais il faut tout de même remarquer que le cheval classique, académique, celui qui est le plus recherché en Haute Ecole est un cheval ibérique, baroque…
Pour sa beauté et son aptitude au rassembler, bien sûr, mais aussi pour son intelligence et sa capacité à communier avec l'homme.

HUNO (Pur Sang Lusitanien) ©Chiris

14. À quel âge les chevaux apprennent-ils le mieux?

Lorsqu'il sont encore jeunes, au sortir de leur vie de poulain, vers les trois ou quatre ans, selon les races et leur maturité. Mais un cheval est capable d'apprendre toute sa vie, tout comme nous, si nous nous en donnons la peine…la joie devrais-je dire !

15. Doivent-ils apprendre à apprendre?

Bien sûr. On ne cesse d'apprendre. Apprendre devient une seconde nature. A chaque fois qu'un cheval apprend une chose nouvelle, à condition de lui laisser le temps de comprendre et d'assimiler, de ne pas brusquer les choses en étant bien clair dans ses demandes et en ne demandant que ce que le cheval peut donner, on augmente ses capacités, on élargit ses " possibles ". Mais la nature, si elle a merveilleusement doté le cheval, ne lui donne pas des possibilités infinies.

16. Quels sont les exercices les plus courants à apprendre en premier ?

Les exercices ne sont pas un but en eux-mêmes. Le cheval est un instrument de musique. La première chose à faire est de l'accorder…pas de lui apprendre un morceau de musique ! Il faut donc commencer par tout ce qui rend le cheval juste, dans le juste pli, relaxé et équilibré. Le travail à pied, le travail en longe, le cercle, la volte, le passage du coin, l'épaule en dedans, puis plus tard l'appuyer…tout cela équilibre, muscle et assouplit le cheval, lui permet de trouver sa cadence, de " jouer sa propre musique intérieure ". L'objectif de la première année de travail est d'obtenir trois bonnes allures, amples, détendues et cadencées,dans l'impulsion et la légèreté, tout en fixant la base de son encolure et en recherchant l'équilibre dans la relaxation.

17. Quelle est la différence entre l'apprentissage à pied et dans la selle?

L'objectif est le même : accorder son cheval pour lui permettre de s'épanouir et de …nous épanouir avec lui. Le cheval est un merveilleux outil pour nous construire, nous découvrir, aller vers le bonheur. Travailler à pied, en liberté, en longe, aux longues rênes, en selle, nous apporte à chaque fois des sensations nouvelles et permet au cheval d'évoluer tout en maintenant son intérêt et sa motivation. Si les principes sont les mêmes à pied et en selle, nous ne disposons pas des mêmes moyens. A pied, le placement du corps du cavalier, sa voix, ses gestes sont déterminants…mais c'est également vrai en selle. L'avantage à pied, c'est de libérer le cheval du poids du cavalier. Mais en selle, la finesse des aides du cavalier, l'utilisation extrêmement subtile de son équilibre sont des atouts extraordinaires. Les deux sont complémentaires. De toute façon, un cavalier aura le même niveau à pied, en longe ou en selle ! L'expérience, le tact requis sont les mêmes ! Les erreurs aussi malheureusement…

18. Combien de fois le cheval doit-il répéter pour apprendre? Peut-il apprendre plusieurs tâches en même temps?

Un cheval travaille chaque jour, avec un repos hebdomadaire. Il faut savoir être patient et ne pas mélanger les tâches lors des apprentissages. On ne passe à l'étape suivante que lorsque une tâche est bien assimilée. Mais il ne faut pas non plus proposer des tâches trop répétitives…il faut savoir sentir quand un cheval a besoin de passer à autre chose, quand il a besoin de passer au trot après le pas, quand vient l'heure du rassembler, savoir continuer une séance et savoir l'arrêter…reprendre un exercice ou l'oublier un certain temps. Tout est affaire de tact et d'expérience…

19. Quels sont les problèmes les plus fréquents. Quels exercices réussissent le moins?

Les problèmes les plus fréquents sont des problèmes d'incompréhension entre le cavalier et le cheval lorsque la demande est maladroite, inopportune ou trop exigeante. Lorsque le cheval n'est pas prêt à donner quelque chose, que se soit physiquement, émotionnellement ou mentalement, les problèmes arrivent. Le cheval se contracte, se ferme à l'écoute, le cavalier se durcit et le cercle vicieux s'enclenche. Plus rien ne va, tous les exercices deviennent difficiles…

20. Comment rendez-vous les chevaux blasés de nouveau curieux? Fonctionnent-ils seulement par la gourmandise?

Les chevaux ne fonctionnent pas par la gourmandise…Ca ne marche qu'un certain temps ! Pour rendre les chevaux blasés de nouveaux attentifs, pour leur redonner la joie de travailler, c'est à la fois très simple et très compliqué : il suffit de très bien les monter et de leur donner du plaisir !

21. L'anatomie du cheval implique-t-elle des limites pour l'apprentissage?

Les chevaux ne sont pas des animaux " de cirque " à qui l'on fait faire des choses contre nature. Certains écuyers on obtenu le galop en arrière sur trois jambes ! C'est un exploit pour l'homme, mais une aberration pour le cheval… L'homme doit respecter le cheval et ne pas s'en servir comme un piédestal pour se mettre en valeur par des " prouesses " extorquées à l'animal. La Haute Ecole est faite de choses simples exécutées dans la légèreté la plus absolue, avec grâce et discrétion, dans le rassembler véritable, afin de mettre en valeur la beauté et l'âme du cheval…

22. Quelles sont vos propositions, vos tuyaux pour commencer l'apprentissage?

Il n'y a pas de " tuyaux " en équitation, mais des savoir-faire utilisés avec discernement, au bon moment, adaptés à chaque cheval. Par où commencer ? J'ai déjà répondu à cette question précédemment : il faut d'abord accorder l'instrument de musique qu'est le cheval, avec son caractère propre…La justesse, l'équilibre, l'impulsion...

23. Quel est l'exercice le plus extraordinaire qu'un cheval n'est jamais appris?

Je pourrais dire l'exercice pour lequel il n'était pas doué au départ et que le cheval donne maintenant avec plaisir et facilité, dans l'harmonie et la relaxation… Un simple cercle aux trois allures, réalisé dans l'équilibre le plus parfait…ce rêve d'harmonie me conviendrait aussi…

24 Pouvez-vous vous souvenir d'un cheval qui était extrêmement doué, de quelle race était-il?

Je n'oublierais jamais Liège.
C'était un Lusitanien de 1,70 m, d'une blancheur immaculée, à la sensibilité, à l'énergie et aux capacités extraordinaires. Lorsque je le montais, la pensée suffisait...Son Passage, son Piaffer et son Trot Espagnol étaient exceptionnel. C'était un seigneur qui ne laissait personne indifférent. Il avait été dressé par Joao Trigueros de Aragao et appartenait à la famille royale marocaine. Il m'avait été confié pendant deux ans. Il a de superbes photos dans mon premier ouvrage paru chez Belin " L'art de monter à cheval ".

Il y a eu aussi Zulu, bai brun de 1,68m, fils de Nilo, que j'ai entièrement dressé. Une énergie et une disponibilité étonnante. Mon cheval de cœur. J'ai d'ailleurs dressé avec plaisir plusieurs de ses descendants.

Et puis plus récemment Huno, lui aussi Lusitanien de 1,73 m, véritable " top model "à la sensibilité exceptionnelle, qui a fait la couverture de mon dernier livre " S'épanouir à cheval ". Après être resté huit ans chez moi, il est actuellement un des meilleurs reproducteurs dans le magnifique élevage de Sylvain Massa. Un de ses poulains entrera dans mes écuries d'ici deux ans…On espère toujours que le nouveau poulain sera le meilleur cheval que l'on ait jamais monté !

Je vous remercie pour votre disponibilité

C'est moi qui vous remercie.

Autres Articles
L'enseignement de Nuno Oliveira
Le travail à pied
L'impulsion
Haute-Ecole et Basse-Ecole
Les capacités d'apprentissage du cheval

Attitude-Position / Pas / Trot / Galop / Epaule en dedans / Appuyer
Changement de pied isolé / Changements de pied rapprochés / Pirouette / Piaffer / Passage / Pas espagnol / Levade / Débourrage / Extérieur et Haute-Ecole

© Chiris 2009